Peines Partagées
Peines Partagées est né des rencontres avec des conjointes de détenus, ces femmes qui se disent elles-mêmes « enfermées dehors », condamnées à une peine qui n’est pas tant de prison que d’attente. Le paradoxe de cette pénible situation a poussé Shoshan à proposer de jouer les intermédiaires d’une façon inédite – en proposant à chaque membre du couple, des deux côtés des murs de la prison de Rebibbia, d’envoyer un message filmé à l’autre. Le photographe se fait ainsi le messager de portraits filmés, muets, destinés aux conjoints, leur offrant l’opportunité de communiquer par ce biais des choses indicibles, enfouies, des émotions trop complexes ou douloureuses pour s’exprimer autrement. Toute la richesse de ces sentiments, parfois contradictoires, affleure dans ces portraits sans paroles.
Plus tard, Shoshan est revenu à ce projet et aux six couples rencontrés. Cette fois, il a interviewé chacun d’entre eux, ajoutant aux premiers portraits des témoignages sur la vie sans l’autre. Ces enregistrements ne sont disponibles qu’au casque, le spectateur étant ainsi libre de recréer en galerie le climat d’intimité et de pudeur qui, plus que tout autre, préside à ce projet. Paolo voudrait un enfant de Liliana, plus réservée quant à l’avenir qui les attend lorsqu’il sortira de prison. Berenice a dix-sept ans de plus que Maurizio, c’est elle qui mène la barque, à tous égards – elle qui l’a introduit dans les activités illégales et qui désormais projette, imagine les retrouvailles et la liberté future. Gelsomina attend Cosimo depuis trente ans, lui qui en prison s’est pris de passion pour le théâtre. Eux deux ont confié à Shoshan leurs photographies personnelles d’avant l’emprisonnement ; leur projection, en marge des portraits filmés, donne à voir non seulement la tension entre deux individus mais entre deux époques – un fossé qui ne fait que se creuser. Le regard du spectateur entérine la séparation des amants en même temps qu’il les réunit : en guise de « parloir », le lieu du couple est désormais l’œuvre.
« À une tradition du portrait qui voudrait saisir ce que le modèle serait supposé cacher, Assaf Shoshan substitue ici une manière de faire portrait qui accepte d’emblée que l’enveloppe physique ne laisse rien percevoir d’autre qu’une attente et une absence, une orientation vers un autre qui n’est pas présent et que rien ne vient remplacer, sinon l’intensité de l’attente. » (Eric de Chassey, ancien directeur de l’Académie de France à Rome – Villa Médicis).
Peines Partagées a été exposée à la Villa Médicis à l’automne 2014 et lors d’une installation unique à la chapelle Saint-Symphorien de l’église Saint-Germain-des-Prés à Paris en novembre 2016.