Territoires de l’attente
Entre 2007 et 2010 Assaf Shoshan réalise, dans le cadre de son travail consacré aux Territoires de l’attente, trois vidéos aujourd’hui présentées en triptyque. Ces longs plans fixes (Shoshan parle de « photographie filmée ») sont autant d’allégories de l’empêchement. Chacune à sa façon matérialise les frontières qui traversent le monde contemporain. Ensemble, elles fonctionnent comme une typologie non didactique des limites visibles et invisibles auxquelles se heurtent certaines minorités au Moyen-Orient. Ces longs plans fixes où quelque chose n’arrive pas à arriver parviennent à faire éprouver, sans pathos, les avancées impossibles. Dans ces œuvres, Shoshan demande, en filigrane, comment faire advenir la rencontre. Il ne matérialise pas seulement l’impuissance des populations les plus fragiles : il interroge également la nôtre.
Taaban (5’31), 2010
Sous un ciel clair où brille un soleil puissant dans une vallée aride, Taaban, la tête haute, court. Peu à peu la fatigue se lit sur son visage où perle la transpiration, où transparaissent l’effort et la fatigue. Le soleil décline, la nuit tombe, Taaban court. Et court. S’essouffle, s’épuise. Et pourtant, jamais n’avance. Poignant Sisyphe contemporain, il donne à voir par sa course immobile, la tragique condition des réfugiés soudanais arrivés en Israël via l’Egypte, souvent au péril de leur vie.
La vidéo a été filmée à quelques kilomètres de l’endroit par lequel Taaban est parvenu à passer la frontière.
Unknown Village (8’32), 2007
Une tente dans le désert. Son embouchure noire ne laisse rien deviner de l’intérieur où s’engouffrent inlassablement des hommes qui ne reparaissent pas. Ils arrivent à pied, à dos d’âne. Ils laissent leur monture à l’extérieur, ne reviennent pas. Tant d’hommes – trop, bien trop pour cette tente ; et ce qu’il advient d’eux, on l’ignore. Ce doit être une foule là-dedans ; ce doit être un peuple. Cet exode intérieur manifeste la disparition des nomades du désert contraints de se sédentariser : c’est-à-dire, pour une culture basée sur le mouvement, de disparaître. Unknown Village a été filmé avec le concours de la population à Ramat Beka’a, l’un des villages bédouins du désert du Néguev non reconnus par l’État d’Israël.
Barrier ( 6’28), 2008
Un passage piéton dans la ville de Rehovot, en banlieue de Tel Aviv. La caméra est sur un trottoir à hauteur d’homme. Tandis que la vie urbaine bat son plein, que les feux passent au vert, au rouge, régulant une circulation fournie, sur le trottoir d’en face une partie des piétons ne traverse pas, ne peut traverser, et peu à peu grandit. Fait foule. Fait corps. Ces immobiles sont les immigrés juifs éthiopiens d’Israël, communauté trop souvent marginalisée et en butte aux discriminations. À travers cette performance qui revêt la forme d’une manifestation – un acte violent de bloquer la route ; Shoshan montre les barrières invisibles, qu’elles soient sociales ou psychologiques, collectives ou individuelles, qui se dressent sur leur chemin. On observe, au fil de la vidéo la façon dont la barrière psychologique imputée aux migrants se meut en barrière physique qui contraint finalement les autres passants. Ce qu’il donne à voir, c’est ce qui n’arrive pas : non le processus, mais son empêchement.