Vues d’exposition – Musée Juif de Belgique

Home – Musée Juif de Belgique (7 octobre 2020 – 25 avril 2021)

Home constitue la première rétrospective consacrée à Assaf Shoshan (°1973), photographe et vidéaste qui vit et travaille entre Paris et Tel Aviv. Cette exposition inédite retrace le fil d’une oeuvre sensible et engagée, réalisée sur une vingtaine d’années entre le Moyen-Orient, l’Europe et l’Afrique. Formé à la philosophie avant de se consacrer à la photographie, Shoshan sonde inlassablement le monde à travers les notions de territoire, d’identité et d’appartenance, au-delà des frontières tangibles et des séparations visibles. Habitée par le thème du déracinement, son oeuvre porte un regard subtil et délicat sur une humanité en errance.

L’exil, dans sa dimension à la fois existentielle et poétique, traverse l’univers visuel de Shoshan de part en part. Ses paysages aériens sont nimbés de mystère. Les séries photographiques Playground, Home et Umm Esh-Shaqaf, portées par une esthétique apocalyptique, sont chargées d’histoire. Ces images hors temps agissent à la manière de visions énigmatiques qui invitent le spectateur à changer son regard : au-delà de leur amplitude formelle, ces décors impénétrables, tantôt mis à nu, tantôt capturés dans un jeu de clair-obscur vertigineux, invoquent des conflits millénaires et des hommes arrachés à leur terre.

Shoshan pose un oeil dénué de pathos sur une humanité empêchée qui a soif d’existence, et s’interroge sur la nature du concept d’identité. Témoin sensible d’âmes errantes éprouvées par l’expatriation, son regard de photographe, distancé et empathique se tourne vers les exilés d’aujourd’hui : personnalités marginales, populations victimes d’exclusion, migrants, réfugiés et sans papiers. Les séries 10 years of solitude et Simplon, dédiées aux demandeurs d’asile africains autant que les images de No Lifeguard On Duty, consacrées à la faune décalée de Tel Aviv, font honneur aux figures héroïques des temps modernes. Fragilisés et soumis à l’ombre, ces femmes et ces hommes, sont, à la force de l’objectif, mis en lumière dans leur humanité. Shoshan donne un visage à ceux que la société rend invisibles : ses images frontales saisissent une vulnérabilité teintée d’espoir, pleine de dignité.

Le travail de l’artiste israélien se démarque par une posture singulière, à la fois documentaire et autobiographique, qui donne naissance à des images à mi-chemin entre réalité et fiction. Il adopte une stratégie du retrait, créant des espaces métaphoriques qui convoquent l’imagination. La photographie doit alors être « expérimentée » et « imaginée », comme le soutient Georges Didi-Huberman dans ses Images malgré tout. Shoshan exploite un espace non saturé de signes comme une marge évènementielle : l’espace désertique. Le désert agit comme un révélateur, qui oblige le spectateur à se dépouiller du superflu pour aller à l’essentiel.

En mettant en perspective l’exclusion des expatriés africains en Europe ou en Israël, Shoshan évoque en filigrane de l’histoire du peuple juif, traversé par l’exode et les questions de l’abandon et de l’acceptation. Mais son obsession pour le thème de l’exil rejoint aussi sa propre trajectoire : appartenant à la troisième génération d’exilés juifs installés en Israël, ayant lui-même fait le choix d’aller vivre dans un pays étranger, Shoshan est intimement travaillé par la question de l’attachement à un territoire. Son oeuvre met en scène le lien particulier à une terre et, a contrario, le malaise de se sentir étranger dans son propre pays.

Où se sentir chez soi quand le familier devient étranger ? Qu’est-ce qui définit ce home qui englobe à la fois le foyer, un espace intime et le sentiment d’un « chez soi » ? Shoshan vit entre deux pays, la France et Israël. Son expérience personnelle du déplacement engage non seulement sa perception de photographe mais nourrit sa réflexion philosophique : l’éloignement lui permet d’intégrer une compréhension nouvelle sur la terre qui l’a vu naître. Shoshan exploite ce sentiment de décalage et fait de cette inquiétude un levier de sa recherche visuelle. À partir de son rapport intime à un sentiment d’étrangeté, l’artiste israélien déploie une esthétique unique autour d’un phénomène de « déterritorialisation ». Il invente une poétique de la clandestinité, impulsée par cette interrogation sous-jacente : à quel territoire se vouer dans un monde aux contours flous ?

Bruno Benvindo, directeur des expositions et commissaire de l’exposition « Home »

Barbara Cuglietta, directrice du Musée Juif de Belgique